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Amélioration des démonstrations de sûreté nucléaire grâce au MBSE

Abstract : L’industrie nucléaire, cruciale pour la production d’une énergie à faible émission carbone, est intrinsèquement complexe et comporte des risques importants. De ce fait, garantir la plus grande sécurité dans les projets de centrales nucléaires (NPP) n’est pas seulement un défi technique mais un impératif moral et une condition fondamentale pour l’acceptation du public. Cependant, il est à souligner à quel point l’approche traditionnelle des démonstrations de sûreté, largement basée sur des documents, est devenue de plus en plus inadéquate pour répondre aux complexités de la conception et de l’exploitation des centrales nucléaires modernes. C’est là que la méthode MBSE se présente comme une approche révolutionnaire, offrant une voie structurée, efficace et claire pour gérer les exigences de sûreté nucléaire. 

1 – Introduction : la complexité croissante des projets nucléaires  

Les projets de l’industrie nucléaire tels que la conception de centrales nucléaires (NPP) présentent un haut degré de complexité car leur développement peut produire plusieurs millions d’unités de données (jusqu’à 100 millions [1]) sous forme de rapports, d’exigences ou de schémas. Néanmoins, la sûreté nucléaire est au cœur de cette industrie et constitue une priorité absolue pour l’autorisation des activités. Malgré ses faibles émissions carbone par rapport aux autres industries, l’énergie nucléaire reste une industrie qui inquiète l’opinion publique (même si elle représente aujourd’hui 72% de la production totale d’électricité en France [2]). Pour garantir la sécurité des opérations, une validation complète de la démonstration de sécurité, définie comme [3] une « évaluation de tous les aspects d’une pratique pertinents pour la protection et la sécurité ; pour une installation autorisée, cela comprend l’emplacement, la conception et l’exploitation de l’installation», est obligatoire pour obtenir le permis permettant de poursuivre le projet pendant tout son cycle de vie. La démonstration de sûreté s’appuie aujourd’hui sur des processus itératifs et collaboratifs, et reste liée à une approche documentaire qui pourrait bénéficier de la mise en œuvre d’une approche numérique. Cet article présentera le thème des exigences de sécurité dans l’industrie nucléaire, montrant comment une approche rationalisée basée sur la technique MBSE peut aider les ingénieurs à améliorer la communication et la collaboration, à améliorer la gestion de la complexité, de la qualité et de la précision et, enfin, à gérer efficacement les connaissances. 

Nous allons également nous pencher sur le cas des Small Modular Reactors (SMR) qui représentent aujourd’hui l’avenir de l’énergie nucléaire en raison de la facilité relative de leur déploiement, liée notamment à leur modularité et à la possibilité de les installer directement sur les grands sites industriels. Notre partenaire Dassault Systèmes s’est penché sur le sujet des exigences de sécurité et comment les outils numériques viennent à la rescousse des entreprises innovantes sur les vastes projets des SMR. C’est ce que nous allons voir en détails dans l’étude de cas. 

 2 – MBSE : un changement de paradigme dans les démonstrations de sécurité 

La démonstration de sûreté nucléaire réside au cœur de toute installation nucléaire car elle comprend plusieurs disciplines et permet de démontrer aux autorités compétentes la sûreté d’une installation. [1] Il s’agit d’un défi de collaboration entre des acteurs de différents domaines, avec différents niveaux de responsabilités, et de son impact sur toutes les phases du cycle de vie du projet. Dans la mesure où plusieurs acteurs travaillant sur des projets nucléaires peuvent avoir des compétences différentes, des niveaux de compréhension différents et des calendriers différents, une approche documentaire traditionnelle aura un impact négatif sur la compréhension de ces sujets complexes en termes de traitement de l’information, posant le risque d’utiliser une approche heuristique pour juger certains éléments. [4] Une approche numérique basée sur des modèles d’ingénierie systèmes (SE) peut constituer une solution à ces problèmes. L’ingénierie des systèmes permet à ces acteurs de mettre en œuvre une approche plus systémique et rationalisée en promouvant les activités de modélisation et la gestion des modèles par opposition à la gestion des documents, améliorant « la capacité de capturer, d’analyser, de partager et de gérer l’information » comme indiqué lors du Symposium INCOSE 2007 [5]. Le MBSE représente un changement fondamental en passant d’une dépendance à une documentation approfondie vers une approche centrée sur le modèle. Ce changement n’est pas seulement procédural mais conceptuel, offrant une vision holistique de la gestion de projet et de l’assurance de la sécurité. Les principaux avantages du MBSE en matière de sûreté nucléaire comprennent : 

  • Une communication et collaboration améliorées : le MBSE favorise une meilleure communication entre les ingénieurs, les parties prenantes et les organismes de réglementation, garantissant que tout le monde est sur la même longueur d’onde. 
  • Une gestion améliorée de la complexité : en créant des modèles détaillés, la méthode MBSE facilite la gestion et la compréhension des interdépendances complexes dans les projets nucléaires. 
  • Qualité et précision : l’approche permet une plus grande précision dans l’analyse de la sécurité, les décisions de conception et la gestion des risques. 
  • Une gestion efficace des connaissances : le MBSE aide à capturer les connaissances critiques du projet, qui sont vitales pour la formation, la planification des projets futurs et l’amélioration continue. 

L’approche MBSE est de plus en plus utilisée et bien connue dans le monde du nucléaire [6]. Cependant les éléments liés à la démonstration de la sûreté nucléaire restent peu pris en compte, et il se pose alors un problème d’appropriation de la méthode de modélisation et des usages et analyses des modèles par les ingénieurs nucléaires. 

3 – Réingénierie de la démonstration de sécurité avec le MBSE 

Une exigence est définie comme étant « une déclaration qui traduit ou exprime un besoin et ses contraintes et conditions associées » [7]. Dans un cadre MBSE, les démonstrations de sécurité peuvent s’appuyer sur les principes de l’ingénierie systèmes suivant : 

      1. L’utilisation des principes systémiques
      2. L’utilisation des processus d’itération et de collaboration 
      3. La promotion d’une utilisation intensive de modèles.

En ce qui concerne les exigences, l’objectif est de construire un référentiel d’exigences possédant les bonnes propriétés et basé sur des exigences SMART, formalisées via un langage de modélisation d’exigences qui permet de vérifier leur cohérence (exhaustivité et cohérence) et de les réécrire de manière sémantiquement équivalente pour les besoins de certains domaines. Cette méthodologie est cohérente avec les deux approches suivantes:  

  1. L’approche classique : qui consiste à avoir des jalons et des revues. Lorsque les jalons sont atteints, un examen des travaux est effectué et une décision est prise quant à la validation ou non de la conception proposée.
  2. L’approche agile : recentrer et partager en permanence un référentiel d’exigences à jour entre toutes les parties prenantes du projet : ingénieurs, acteurs métiers, représentants des clients, des exploitants et des autorités.

Le MBSE décompose la démonstration de sûreté nucléaire en éléments distincts et gérables : 

  • Fonctions de Protection des Intérêts (FPI) : Identification des fonctions critiques qui protègent contre les scénarios catastrophiques. 
  • Exigences de sécurité (EX) : Élaboration d’exigences primaires de sécurité basées sur les risques identifiés, guidant les analyses de sécurité. 
  • Les caractéristiques attendues (CA) : elles sont dérivées d’analyses de risques et éclairent la conception technique, agissant comme des exigences de « deuxième niveau». 
  • Les exigences définies (ED) : Mesures techniques spécifiques proposées pour répondre aux CA, applicables aux systèmes ou sous-systèmes. 

Une exigence FPI donnera lieu à plusieurs EX. Une EX donnera naissance à plusieurs CA et ainsi de suite. Ces termes sont liés à la sémantique réglementaire de l’énergie nucléaire. [8] Considérer ces éléments comme des « exigences » apporte une grande flexibilité dans les liens qui peuvent être choisis pour décrire, par exemple, le passage d’une CA à une ED. En particulier, des techniques d’ingénierie des systèmes telles que la décomposition, la dérivation ou le raffinement peuvent être appliquées pour souligner les relations entre ces exigences. Un métamodèle global qui nous permet de formaliser, structurer et détailler tous les concepts, attributs et relations peut ensuite être créé et utilisé ultérieurement afin de combler le fossé entre le modèle MBSE et son implémentation aux démonstrations de sécurité. Un tel méta modèle est basé sur les quatre piliers du MBSE, à savoir les langages, les modèles, les outils et les processus.  

À titre d’exemple, la Figure 1 ci-dessous montre un diagramme de structure de décomposition des exigences qui permet de retracer l’origine d’une exigence particulière en utilisant la nomenclature et les techniques introduites précédemment. Une telle proposition permet de démontrer les avantages des méthodologies orientées modèle plutôt que celles orientées documents.    

Figure 1

Figure 1 : Structure de répartition des exigences. [1]

Etude de cas : Small Modular Reactors (SMRs) 

Dans cette partie, nous allons nous intéresser aux SMR (Small Modular Reactors). Les SMRs sont des petits réacteurs à fission, moins puissants et plus petits que les réacteurs conventionnels. Ils sont fabriqués en usine puis transportés sur site. De manière générale, ils sont déployés sur les grands sites industriels et à bord des sous-marins. A ce jour, l’AIEA dénombre pas moins de 70 projets de SMR en développement dans 19 pays différents [9]. 

Dassault Systèmes, qui accompagne l’industrie nucléaire dans son développement grâce aux outils numériques qu’elle met à la disposition de la filière, décrit les points forts des SMRs : ils sont flexibles, sécurisés, évolutifs, produisent moins de déchets, s’intègrent facilement à de nouveaux réseaux et permettent des usages innovants. 

Afin de certifier leurs réacteurs modulaires, les entreprises sont amenées à produire ce qu’on appelle « les démonstrations de sécurité » qui sont soumises aux autorités compétentes afin d’obtenir les licences nécessaires. Elles sont également nécessaires afin de gagner la confiance du grand public et son adhésion. La gestion de la sûreté et de la sécurité est en revanche beaucoup plus simple dans le cas d’un SMR.  

Selon Xavier BUSSENAULT, Business Consultant Director chez Dassault Systèmes, les « SMRs are intrinsically safer than larger reactors, thanks to the use of passive safety and systems, and smaller fuel inventories. The reactors also allow for longer coping time before operator action is needed in the case of accidents. But SMRs still have to undergo a complex and lengthy licensing process.” Il souligne également l’importance de digitaliser et de simplifier le volet sécurité. En ayant une approche numérique globale pour la gestion et le stockage de la donnée. La méthode MBSE peut constituer une réponse très adéquate. Combinée aux avantages de connectivité et collaboration offerts par la plateforme 3DEXPERIENCE, le Model-Based Systems Engineering peut aider les entreprises qui développent des SMR innovants tel que notre client STELLARIA, à mener à bout le processus de certification et assurer toute la traçabilité des exigences. Utiliser la plateforme 3DEXPERIENCE pour enregistrer les données opérationnelles durant les audits et les mises en services est le meilleur moyen de capitaliser les données nécessaires aux contrôles périodiques de sûreté. Au sein d’un même environnement virtuel, la 3DEXPERIENCE permet de : 

  • Gérer les SMR comme un produit multidisciplinaire complexe, et chaque installation avec ses propres spécificités
  • Faire des modifications sur les designs des produits et implémenter les modifications directement aux installations 
  • Développer les SMR comme une flotte pour réduire les coûts tout en prenant en compte les spécificités des sites où ils sont implantés
 
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5 – Conclusions 

Si le MBSE offre de nombreux avantages, sa mise en œuvre n’est pas sans contraintes. Celles-ci incluent la nécessité d’une formation approfondie, des changements culturels dans les pratiques d’ingénierie et l’intégration des outils MBSE avec les systèmes existants. À l’avenir, le développement continu des méthodologies, des outils et de la formation MBSE sera crucial pour réaliser pleinement son potentiel en matière de sûreté nucléaire. 

L’adoption du MBSE dans les démonstrations de sûreté nucléaire marque une avancée significative dans le domaine. Il offre une voie structurée, transparente et efficace pour garantir les normes de sécurité les plus élevées dans la production d’énergie nucléaire. Cette méthodologie simplifie le processus de démonstration de sécurité et favorise une compréhension plus approfondie et plus intégrée des exigences de sécurité dans les diverses disciplines impliquées dans les projets de centrales nucléaires. Alors que cette industrie continue d’évoluer et d’innover, le MBSE s’impose comme un outil clé pour maintenir et améliorer la sûreté nucléaire pour le présent et l’avenir. 

Bibliographie :

[1] Roumili E, Bossu JF, Chapurlat V, Daclin N, Plana R, Tixier J ”Collaborative Safety Requirements Engineering: An Approach for Modelling and Assessment of Nuclear Safety Requirements in MBSE Context”, 2021. 
[2] Statista, “L’énergie nucléaire en France – Faits et chiffres,” 2017. [Online].
 
[3] IAEA, Safety Glossary STI/PUB/1290, International Atomic Energy Agency, 2007.

[4] Baron J, Thinking and Deciding, Cambridge, 2007.
 
[5] Friedenthal S, Griego R and Sampson M, “INCOSE Model Based Systems Engineering (MBSE) Initiative,” in INCOSE 2007 symposium, San Diego, 2007. 
[6] Zhuang M, Zhao X and Siqiao Z, “Study on the NPP general operation strategy design method based on MBSE,” Proceedings of the 27th international conference on nuclear engineering (ICONE-27), 2019. 
[7] ISO, ISO/IEC/IEEE 29148, 2011. 
[8] Légifrance, Arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base, France, 2012. 
[9] IAEA, “Nuclear Power for the Future: New IAEA Publication Highlights Status of SMR Development”, 2020. 

 

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